les chroniques des réunions du Journal Intime Collectif de Paris
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Les auteurs :
Jean-Philippe Spector
Silvia Vignato
Kati Basset
Caroline Sarrion
TEXTES

Mercredi 7 juillet 1999, 11 h.
Rue des Bluets.
Vendredi 9 juillet 1999, 13h.
Bus 96.
Dimanche 28 novembre 1999, vers 14 heures.
Musée Carnavalet, Paris IV ème.
Décembre 1999.
Un trottoir de Paris.
lundi 12 décembre 1999, environ 15 heures.
RER A, direction St Germain en Laye.
12-12-1999.
Station Belleville, direction Porte Dauphine.
Lundi 20 décembre 1999- 12h30.
Pigalle.
mardi 28 décembre 1999- 15 heures.
Gare de la Part Dieu, Lyon, dans un TGV pour Paris.

 
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Mercredi 7 juillet 1999, 11 h.
Rue des Bluets.

 

Un couple marche lentement. De temps en temps elle s'arrête avec un petit répli sur elle-même. Il s'arrête aussi. Puis elle rit, lui non. Une autre femme passe, se retourne et sourit à la première, qui répond avec un sourire immense, avant de se replier soudain encore une fois sur son immense ventre.

 
 

Vendredi 9 juillet 1999, 13h.
Bus 96.

 

Sur le trottoir de la place de Ménilmontant attendent plus de gens que le bus ne semble pouvoir transporter. Mais ils rentrent tous, gros et sués, pour la plupart des blacks, des arabes, des indiens, pour la plupart portant de grands caddies pleins de choses de marché. Une dame en noir se plaint : - C'est toujours la merde le mardi et le vendredi, bondé à hurler, c'est toujours la merde, ah, qu'il fait chaud...
Avec un sourire gentil, une deuxième dame, ronde, pâle, les cheveux rades et coupés presque à zéro, entame une conversation à deux :
- Oui c'est chaud, on pourrait pas ouvrir un peu celui-là, ha c'est pas vrai, y a que ce finestron [???] tout en haut d'ouvert.
Conversation entamée.
- Ben oui, il faut bien qu'ils fassent gaffe ou vous savez comment sont les gens, ils en profitent! rétorque la première.
- C'est vrai les gens ne pensent plus qu'à ça, à se suicider... reprend boule à zéro.
Et la noire :
- Vous voyez dans le métro, c'est devenu dangereux, y a plus que des suicides et puis on bloque les rames.
- Et l'état qu'ils sont quand on les trouve...
- Moi j'ai jamais vu mais ma cousine, l'autre jour, elle a vu une femme jeter ses deux enfants puis elle a pas eu le courage et on l'a attrapée.
- Ça, je ne suis pas d'accord. On n'a pas le droit de disposer d'une autre vie humaine, même si c'est son enfant.
- C'est devenu tellement dangereux, que les gens ne prennent plus le métro, ils préfèrent le bus.
Sur ça, une voix d'homme se lève fort :
- Eh, on a fini avec ces conneries racistes ?
A l'avant du bus, un couple d'arabes engueulent un gamin noir. Le bus s'anime de façon différenciée.
Un vieux monsieur noir en tenue de travail verte " propreté de Paris " gueule plus fort que les autres :
- Salopard! T'a pas le droit de dire ça!
Un groupe de matrones lancent des sons agressifs en arabe, l'une d'entre elle répétant sans arrêt " Ji suis kabile, moi, y alors quoi ? "
Des adolescentes multicolores rigolent entre elles, mignonnes et inconsistantes.
Une jeune femme modèle Kookaï regarde amusée.
D'autres se joignent au cœur, quelques un s'en prenant au chauffeur qui ne fait rien pour arrêter tout ça, ou pour virer ce salopard, ou pour faire taire cette bécasse, ou Dieu sait quoi en tamoul, arabe, en langues africaines, en portugais.
Au croisement avec la rue des Pyrénées, soudain, le bus se vide comme dans une diarrhée et laisse la querelle s'étaler sur le trottoir. Dans le silence interne, reste la dame pâle la boule à zéro. Regardant la femme en noir qui est descendue en jurant contre les suicides, les racistes, les arabes et les chauffeurs de bus, elle dit tout bas.
- Pas de vacances pour moi, cette année, comme tous les ans d'ailleurs, eh, pas d'argent, à Paris. .

 
 

Dimanche 28 novembre 1999, vers 14 heures.
Musée Carnavalet, Paris IV ème.

 

Au rez-de-chaussée, photos sur panneaux de verre teint ou en plastique noir, et accrochées aux murs d'apparence de tôle ondulée, brillants. Les visiteurs, clairsemés, se déplacent lentement, par grappes de pas, stationnent quelques secondes en se penchant vers les photos noir et blanc. D'eux, nul son ne sort, si ce n'est le claquement de leurs talons sur le sol de marbre lisse. Calme et concentration. Couleurs blanc et noir.

Une voix de femme, soudain : "La Révolution, c'est par où ?"
"Au deuxième étage, escalier droite !"

 
 
Décembre 1999.
Un trottoir de Paris.
 
- Putain-merde! Sur le bitume, un tas de substance molle marron claire amorce une traînée de la même couleur et d'identique substance d'environ un mettre se terminant sous le mocassin marron et bien ciré du pied gauche d'un jeune homme bien mis.
 
 

lundi 12 décembre 1999, environ 15 heures.
RER A, direction St Germain en Laye.

 

Deux filles post-ados montent à Nanterre-Préfecture et s'installent sur une banquette tout en continuant une conversation animée… animée par une seule des deux, une blonde enveloppée à accroches-cœurs sur le front, acnéique et néanmoins pulpeuse, qui parle très fort.
- Alors moi, la première fois, j'te dis pas. Je m'assois sur un banc… et ya une grosse langue qui me lèche partout. Berk! L'horreur. Dégoutée. Je m'suis dis, ben si c'est ça, jamais. Pi la deuxième fois, j'ai dit "Mouais…", la troisième "Mouais, mouais!"
- … (hochement de tête)
- Et alors là, maintenant ça fait… (elle compte sur ses doigts en pianotant sur une pochette en carton), ça fait 5 ans de baisers, et là je peux dire, je peux dire que oui, là, j'assure, quoi, bien, pas mal.
Toutes les autres conversations se sont tues.
L'autre fille, cheveux châtain raides et soignés, mince, peau de pêche, qui jusque là ouvrait constamment la bouche et la refermait sans avoir parlé, s'exprime enfin, d'une voix discrète
- Ca dépend avec qui…
L'expansive la coupe: - Ah oui, y'en a qui embrassent trop mal.
La discrète: - C'est à dire qu'il y en a avec qui il faut faire autre chose…
L'extravertie, coupant encore: - Ya des mecs, j'suis pas restée une demi-heure avec, des mecs qui me plaisaient, pourtant, mais ils embrassaient trop mal… et puis d'autres au contraire qui embrassaient tellement bien que je suis restée bien plus longtemps que prévu…
La discrète, le regard au sol: - Y'en a un, il me plaisait, c'était bien, tout, mais ça c'est fait tout à fait à la fin, heureusement… parce que là, j'ai pas pû, c'était fini, il puait du bec.
Nanterre- Université, les post-ados descendent, leur dialogue se noie dans la foule jeune qui prend la sortie "Université".
Des bribes de la discrète: - Oui mais s'il est romantique… La blonde, s'exclamant: - Ah mais là ça change tout, un mec romantique, c'est mieux que tout!!!!

 
 

12-12-1999.
Station Belleville, direction Porte Dauphine.

 
Les gens sur le quai sont penchés sur les rails du métro où se trouvent des sacs de voyage. Une femme sans âge, dépenaillée, pieds enflés, rouges et nus, debout à côté de quatre ou cinq types assis munis de bouteilles de vin rouge, parle à une grande boîte jaune posée sur le quai.
Un haut parleur hurle:- Dis, tu vas nous foutre la paix, Sarah, parce que tu sais, la brigade, je vais te l'envoyer, moi! Alors t'arrête, là.
La femme pieds nus se détourne de la boîte et lève les bras au ciel.
- Moi j'veux bien, mais les autres cons, ils ont foutu les sacs sur les rails.
Le train arrive, tout le monde se penche encore, le train écrase les sacs sans difficultés.
 
 

Lundi 20 décembre 1999- 12h30.
Pigalle.

 

Du rayon produits d'entretien du magasin Shopi émanent de petits bruits, déchirements, froissements, crissements. Un vieux monsieur est arrêté au milieu du passage, penché sur un grand caddie vide. Tête baissée, il regarde en biais sous sa casquette, de tous côtés, pendant que ses deux mains dépècent frénétiquement un paquet d'échalotes. Quelqu'un demande le passage, le vieux monsieur ne réagit pas, se laisse bousculer, seul son regard fuit et se fige en l'air tandis que sa bouche mâchonne et que ses mains continuent leur besogne tremblante et bruissante. Les pelures d'échalote s'échappent du paquet.
20 minutes plus tard aux caisses il y a un grand type avec un chapeau plein de badges et d'énormes lunettes jaunes, un autre type au teint gris qui traîne une dizaine de bouteilles de rouge de même marque dans un cabas, un Maghrébin âgé et rigolard qui veut réparer Mademoiselle la caissière, pas la photocopieuse, et le vieux monsieur qui pousse son grand caddie au fond duquel un paquet de pain d'épices côtoie un emballage d'échalotes vide.


***

(Version courte)
Au rayon des produits d'entretien, un vieux monsieur dépèce frénétiquement un paquet d'échalotes, sans regarder ses mains qui s'affairent au fond d'un caddie vide. Sa bouche mâchonne et son regard épie de tous côtés.
20 minutes plus tard, le vieux monsieur est aux caisses, au fond de son caddie il n'y a qu'un paquet de pain d'épice et un emballage d'échalotes vide.

 
 

mardi 28 décembre 1999- 15 heures.
Gare de la Part Dieu, Lyon, dans un TGV pour Paris.

 

- Madame si vous le prenez sur ce ton, la place je la prends en deux secondes.
- Alors là, Monsieur, je peux en faire autant
- Oui mais moi j'ai réservé sur ce train, Madame.
- Mais on nous a dit qu'aujourd'hui il n'y a pas de réservations.
- Pardon, c'est bien la voiture 3? Non, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas vous.
- Ah zut, bon, je me lève, j'ai réservé en première, mais sur un autre train, OK je cède, c'est pas la peine de faire des histoires.
- Les gens sont bien énervés, je trouve.
- Oh non, c'est pas vrai, c'est fumeur, tout le compartiment de première. - Oh moi je ne m'énerve pas, à quoi ça sert? Pourtant c'était pas prévu du tout que je passe par ici hier pour aller à Paris.
- Je pourrais vous voir tout à l'heure, monsieur?
- Vous allez voir le contrôleur? moi aussi je veux. J'avais réservé sur le train suivant, avec un supplément. Celui-ci est sans supplément, j'espère bien être remboursée.
- C'est fumeur, oh la la, manquait plus que ça.
- Bon, allez-y, je vous laisse la place, si vous y tenez tant.
- Arrggh… ça tient pas!
- Au fond, il y a une place pour les bagages.
- Non, non ça ne fait rien, je m'en vais, mais c'est le ton sur lequel c'est demandé qui me débecte.
- Ya plus de place pour les bagages, bon.
- Déjà ceux qui ont réservé hier se battent pour les places, alors ils vont quand même pas les laisser à ceux qui ont réservé aujourd'hui, hein!
- Mais aujourdhui il n'y a PAS de réservations.
- En plus ceux qui sont dans le couloir viennent fumer ici. Bon, moi je vais dans le couloir.
- Allo, oui, c'est moi, je suis dans le train, il va partir, oui, j'ai une place, super.

25 minutes plus tard, le calme est revenu en première et le TGV roule à pleine vitesse. Le contrôleur fraye à une petite grand-mère un passage au milieu des gens occupant le couloir et les escaliers. Il l'installe en première classe.
- Voilà, Madame, la place 44 doit être libre. La petite dame s'assied et sourit à son voisin.
- Ah j'ai de la chance. Ce qu'ils sont gentils, tout de même.
- Vous étiez debout tout ce temps?
- Oui, voiture 11. Il faudra que j'y retourne quand même chercher ma valise, elle y est restée.
- Votre valise, voiture 11, avant le bar!
- Oui, avant le bar.
- Mais pourquoi ne l'avez vous pas prise quand le contrôleur vous a amenée?
- Oh, je ne voulais pas le faire attendre. Il était si gentil et avec tous ces gens, tous ces problèmes. J'ai déjà eu un hôtel deux nuits.

Un heure plus tard, dans le wagon assoupi, la voix de la petite grand-mère coupe un silence épais:
- Oh! est-ce que j'ai ronflé?
- Non Madame, vous n'avez pas ronflé.
- Pas du tout ronflé?
- Pas du tout, je vous assure.
- Ah bon, parce que mes petits enfants me disent "Mamie Natacha, tu ronfles."

 

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