les chroniques des réunions du Journal Intime Collectif de Paris

chronique n°1 : 22/01/99
historique
Chronique n°7
(réunion du 06/12/99)
Chronique n°6
(réunion du 19/11/99)
Chronique n°5
(réunion du 15/10/99)
Chronique n°4
(réunion du 25/06/99)
Chronique n°3
(réunion du 16/04/99)
Chronique n°2
(réunion du 04/02/99)
Chronique n°1
(réunion du 22/01/99)
Paris
Marseille
Montpellier
Aller ailleurs
La première réunion de l’année 1999, a été une des plus réussies depuis la naissance du Journal Intime Collectif et a produit un des meilleurs « crus » de textes.
10
personnes étaient présentes :
 
Silvia Vignato
Kati Basset

Jean-Philippe Spector

Francis Juif

Yves Lemarrec
Olivier Carré
Damane Boukelif

Hélène Doazan

Caroline Sarrion

Pedro de Souza

7 possèdent une connexion internet ( et sont donc sur la mailing liste).
Une seule, parmi celles-ci, est venue exclusivement grâce à la mailing liste.

3 n’étaient jamais venues au Journal Intime Collectif.

Le panachage de personnalités a donné une ambiance qu’on peut qualifier d’euphorique. Nous avons passé la soirée à rire de jeux de mots qui ont forci de texte en texte.

 
Avant que la lecture proprement dite des textes ne commence, nous avons entamé une discussion sur Internet et le Journal Intime Collectif qui ne semble pas close :
Pedro nous a parlé de son projet de Journal Intime Collectif au Brésil : Il va créer un site, puis essayer de mettre en place des réunions, il va donc procéder à l’envers du Journal Intime Collectif  français.

Pour moi, qui organise les réunions, la mailing liste comprenant 80 personnes me permet en une seule fois de les contacter toutes et ce n’est pas négligeable, la question de son utilité en tant que moyen de communication, ne fait donc aucun doute. 

Mais, il ne faut pas oublier que tout le monde n’a pas de connexion. J’ai proposé que le Journal Intime Collectif puisse permettre aux personnes qui le désirent de s’initier à l’Internet.

 

Le projet de base de données du Journal Intime Collectif interrogeable par date, thème, quartier etc. a été évoqué. A l’occasion de la fête de l’Internet, je souhaite mettre en ligne un formulaire qui permettrait aux internautes de saisir des textes-jics et d’initialiser cette base de données.

Une question majeure se pose autour de ce projet :
Aujourd’hui, le site Internet n’est qu’une vitrine, permettant aux internautes de découvrir le Journal Intime Collectif et d’avoir toutes les informations nécessaires pour participer. L’idée de recevoir des Jics par courriers électroniques ou postaux a été rejetée jusqu’à maintenant (excepté pour les Jics d’ailleurs). Car, la richesse du JIC réside dans le fait que des personnes très différentes y participent, et que cette participation se fait à travers une confrontation réelle dans une atmosphère conviviale et chaleureuse. L’existence d’un froid censeur -jic (détenant le savoir-jic) qui répondrait par correspondance aux auteurs, est contraire à l’idée même du JIC. Les réunions (toujours différentes par leur composition et l’humeur qui s’en dégage) fabriquent un consensus ponctuel. Un texte, pourra subir un traitement différent selon qu’il est passé à une réunion ou à une autre.

Comment peut-on reproduire cette «convivialité» sur l’Internet?

Cela me paraît impossible. La discussion seule est possible, à travers un groupe de discussion, mais, réunir des personnes à date fixe me paraît contradictoire avec une communication asynchrone qui reste quand même la spécificité et l’avantage de l’Internet.

En gros, je continue a penser que pour ceux qui peuvent se voir (qui habitent une même ville) l’Internet est un palliatif. Le «meilleur» du Journal Intime Collectif résidant dans ses soirées (il faut venir pour s’en rendre compte).

En revanche, la consultation des textes (et des images, si vous vous y mettez) à travers une base de données permettant une ballade dans la ville me semble une très bonne idée. J’étudie actuellement les différentes possibilités de mise en œuvre. Nous proposerons le formulaire à titre d’expérience.

Je vous ai livré mon sentiment et mes réflexions en vrac. Je serais heureuse de recevoir vos remarques ou vos propositions ce qui me permettra d’enrichir la FAQ de la question suivante: Quel est l’intérêt pour le Journal Intime Collectif d’avoir un site internet?
Cette rubrique est également ouverte aux auteurs présents aux réunions. Ce qui veut dire que plusieurs chroniques pourront être rédigées pour une même réunion.

Caroline Sarrion
  top
 
TEXTES
lus lors de la réunion du 22 janvier 1999
  Lundi 14 septembre 1998, 20h.
Départ : Station de RER "Gare du Nord".
29 octobre 1998, de 16 heures 15 à 17h.
Café Le Sorbon, rue des Ecoles,Ve.
Novembre 1998.
Café Le verre à Pied, rue Mouffetard, Paris Ve.
19 Décembre 1998, 13h.
Au restaurant Osez la carotte grand'mère, au quartier des grands magasins de la rive droite.
Lundi 11 janvier 1999.
Boulevard Massena, hauteur porte d’Ivry.
Jeudi 14 janvier 1999.
Métro Ménilmontant, Entre 20h00 et 20h.40
Mardi 19 janvier 1999, 14 heures.
rue Doudeauville, Paris 18ème.
22 janvier 1999, 8 heures.
Quai de Loire Paris 19ème.
  top
  Lundi 14 septembre 1998, 20h.
Départ : Station de RER "Gare du Nord".
  Un jeune homme, une fesse sur le dur fauteuil bleu, est complètement tourné sur le côté vers une jeune fille. Les deux coudes posés sur les genoux, sa main à lui pend au niveau de son tibia à elle. Elle, se tient bien assise, les jambes croisées, face au quai.
Ils se parlent, et insensiblement pendant qu'il parle, sa main à lui se laisse tomber doucement sur son tibia à elle. Elle décroise les jambes puis les recroise, un peu plus loin de la main. Un peu plus tard, la main se retrouve à nouveau sur le tibia. La fille se raidit, sans se dégager. Ils continuent de parler, elle, rit de temps en temps, et lui aussi. Et il approche son visage du sien, colle ses lèvres aux siennes qui ne se desserrent pas, elle n'a pas bougé du tout.

La rame arrive, ils se lèvent, il passe un bras autour de ses épaules, elle avance vite et entre un peu précipitamment dans le compartiment sans le bras.

Dans le compartiment, un homme et une femme noirs sont assis face à face, leur longues jambes entrecroisées.
La femme dit :

"tu ne veux pas? Tu n'as jamais fait ça?"

"Tu ne vas pas me dire que tu n'as jamais fais ça!"

L'homme prend la main de la femme et ne dis mot.

"tu ne peux pas me refuser ça!"

L'homme dit "ce n'est pas raisonnable"

A la station Châtelet 
« Message de service : la police est demandée au magasin "bonne journée". »

Boulevard Montparnasse, une jeune fille à sac à dos et un jeune homme à lunettes se séparent devant une porte, la jeune fille compose le code et l'autre tout en s'éloignant demande :
- On ne se revoit pas avant?

Non, dit-elle tout en poussant la porte.

 

 
  29 octobre 1998, de 16 heures 15 à 17 heures.
Café "Le Sorbon", rue des Ecoles,Ve.
  Le livre — Big Sur de Henry Miller — est ouvert à la première page du premier chapitre, intitulé In The Beginning.
Son lecteur est un vieux monsieur, aux cheveux blancs restants tirés vers l’arrière du crâne, portant lunettes de verre épais, un strict veston bleu marine. Le pli du pantalon à larges carreaux est impeccable, les chaussures quoique ridées brillent de cirage noir.

De temps à autre, le vieux monsieur plonge une main tavelée dans l’emballage d’une pâtisserie, l’agite à l’intérieur du sachet en papier et en sort un petit morceau de pain au raisin, qu’il enfourne dans sa bouche et avale avec une gorgée de thé. Tout le temps que dure ce rituel, le vieux monsieur ne lâche pas des yeux son livre.

Une demie heure a passé. L’absorption complète du gâteau s’achève par le lent froissement du sachet et sa réduction en une boule de papier chiffonné. Le vieux monsieur, qui n’a cessé de fixer la même première page du chapitre intitulé In The Beginning, referme le livre, se tourne vers le fond de la salle et marmonne à part soi « Est-ce qu’il va me rendre mon monnaie à la fin ? »

Le vieux monsieur étant parti sans avoir obtenu satisfaction, un autre vieux monsieur à lunettes le remplace. Assis à sa gauche, un homme rédige un texte dans un carnet à la couverture rouge. Lorsqu’il a fini d’écrire, celui-ci laisse vingt francs sur la table, range son stylo, referme le carnet, le range dans sa poche et se lève. Le vieux monsieur l’interpelle avec un accent hispanique :
— Vous avez oublié votre carnet.

Etonné, l’autre fixe la table qu’il vient de quitter, n’y voit que la carte couleur crème du café, la saisit et la tend à son voisin :

— C’est la carte...

Le vieux monsieur hoche la tête, avant de demander dans un grand sourire :

— Vous êtes poète ?

 

 
  Novembre 1998.
Café « Le verre à Pied », rue Mouffetard, Paris Ve.
  Il pleut
elle entre cheveux de neige ruban de velours

sans demander elle est servie

boit du bout des lèvres

vin blanc

deux jeunes gens sont assis mains en lacées

regard plongé capturé aveugle

elle les voit détourne les yeux

verre à la main suspend son geste et sourit
 
  19 Décembre 1998, 13h.
Au restaurant « Osez la carotte grand'mère» , au quartier des grands magasins de la rive droite.
  La femme N°1 : — Ravissant. 
La femme N°2 : — Et pratique. 

La femme N°1 : — Ravissant. 

La femme N°2 : — Et pratique. 

La femme N°1 : — Un cachet fou. Quelle originalité ! Fallait y aller. Fallait. 

La femme N°2 : — Fallait, c'est sûr. Y'a qu'aux Galeries Lafayettes qu'y font ça. L'an dernier c'était le coin cingalais, ou sénégalais, je ne me souviens plus bien, c'était pas mal non plus. 

La femme N°1 : — Je n'avais pu y aller . En tout cas il n'y avait sûrement pas de lampes en os !

La femme N°2 : — Ah! le coin afghan, que veux-tu, mémère ! Dire qu'ils sont en train de s'étriper là-bas. Y font pas de vieux os, hi hi hi !

La femme N°1 : — Ah bon ? 

La femme N°2 : — C'est la guerre, mémère, là-bas, paraît-il. Y'a même des p'tits Russes tout roses qui s'y sont fait tuer ou amocher, à la pelle, qu'y disaient à la télé. 

La femme N°1 : — Là, je vais chercher une des lampes dans le sac, la petite, la de chevet. Je voudrais la revoir de près. Mais regarde, regarde-la donc. On dirait vraiment de l'os (elle prononce :de l' ausse), de l'os nature bien verni. Quel travail ! Ca c'est de l'artisanat!

La femme N°2 : — Artisanat afghan, c'était écrit. Ne crois-tu pas que c'est de l'os nature ?

La femme N°1 : — Ben non! Ce ne serait plus de l'artisanat. Et puis de l'os de quoi ? De chien, de boeuf, de mouton, de chameau, de lévrier, de gazelle ?

La femme N°2 : — Sculpté dans l'os, peut-être. De l'os d'un gibier spécial de ces pays... d'Afghanistan (Elle prononce : Afghanistâne), ou d'un singe quelconque. 

La femme N°1 : — En tout cas c'est ravissant, et pas cher! 

La femme N°2 : — Et pratique. Celle-ci peut se poser dans n'importe quel petit coin. 

La femme N°1 : — Et le lampadaire, quel bel os ! On dirait une vraie colonne vertébrale ! J'ai été séduite tout de suite. 

La femme N°2 : — Encore faut-il savoir où le mettre chez toi... 

Le garcon se présente,avec ses longs cheveux huilés coiffés en arrière : 
— Ces dames ont-elles fait leur choix ?

La femme N°1 : — Carotte grand'mère boeuf gros sel, bien sûr, n'est-ce pas, mémère ?

Le garcon : — Avec une « couette d'oie blanche»  en entrée ? » 

La femme N°2 : — Et si on essayait le « pinacle »  Bristol ?

Le garcon : — Une couette et un pinacle ? C'est parti ! Un pinacle et une couette, suivis de deux carottes grand'mère, deux en nombre, deux !... Et comme boisson, un pichet de « Chasse-cousin Emile Zola » ? 

La femme N°2 : — Certainement. C'est moi qui l'offre, mémère. 

La femme N°1 : — Quand je pense à ma fille Brigitte qui va au Grand bon Bluff ou à Super Magouille, comme elle les appelle! Elle y trouvera jamais de « Coin afghan »  et de « lampes-z'en-n'ausse » !

La femme N°2 : — Moi, les miens habitent quasiment à l'intersection comme qui dirait de l'Hyperlimpinpin et de l'Arnaque Réunie, et la Grande Foufouine n'est pas loin,si tu vois ce que je veux dire,hi! hi! hi! Ils y trouve tout, absolument tout, qu'y m'disent. 

La femme N°1 : — Paraît-il que le meilleur c'est encore Hyper-Super je ne sais plus quoi, la nouvelle chaîne. 

La femme N°2 : — Connais pas. 

La femme N°1 : — Bon, prenons des forces pour notre après-midi au BHV. J'espère que Jacquot ne va pas tarder à nous débarrasser de ces paquets. 

Et papoti et papota, les mémères barbottent etc. etc. Et voilà qu'arrive près de leur table un monsieur assez grand, un peu voûté, plutôt brun, col ouvert, la bonne quarantaine. 

La femme N°1 : — Ah! mon Jacquot, tu n'as pas idée comme c'est ravissant! Tiens, viens les voir, mes lampes-z'en ausse du « Coin afghan »  ! 
Jacquot : — Qu'est-ce que c'est que ça, des « lampzanausses » ?

La femme N°1 : — Lampes de chevet, lampadaire, appliques. Tiens, regarde donc! Mais le lampadaire ne sera livré qu'après-demain. Quels artisans, ces Afghans !

Jacquot : — Quels Afghans ? 

La femme N°1 : — Mais je t'ai dit : — le « Coin afghan »  ! Mon Jacquot, c'était le « Coin afghan »  des Galeries Lafayette, avant Noel. 

Jacquot regarde déjà distraitement les objets qu'elle a extraits de ses sacs, puis soudain les observe de près,les tourne et les retourne :
— Eh eh ! Mais c'est de l'os véritable, mémère, et de l'os humain! Tu as acheté des squelettes d'homme en pièces détachées. 

La femme N°1 : — Voyons, mon Jacquot, te moque pas de moi ! Et puis on ne plaisante pas sur ces choses-là, même un biologiste!

Jacquot : — Mais je ne plaisante pas. C'est des os afghans. Je sais quand même reconnaître un os humain! Ton « Coin afghan »  vient directement des charniers d' Afghanistan. Il y a peut-être a des os pashtounes, ou russes, azéris, ouzbeks etc. etc. ,ça, ça ne peut pas se voir. (La femme n°2, livide, se retire en douce vers les toilettes, avec un air d'avoir envie de vomir un max). 

La femme N°1 : — Enfin,enfin, vraiment ? Ils doivent bien savoir que non, aux Galeries Lafayette. Ils savent ce qu'ils font. Il y a des contrôles. Jamais ils n'oseraient... 

Jacquot : — Oh tu sais, il y a les colis sans douane ni contrôle, de la « valise diplomatique »  française là-bas ou afghane ici, ni plus ni moins. Quant aux Galeries Lafayette, ce n'est pas un laboratoire biologique, que je sache! Voyons voir cet abat-jour, ça ne m'étonnerait pas qu'il soit en peau d'homme ou de femme... Peau des fesses ou peau du dos ? 

La femme N°1 : — Jacquot, tu es dégoûtant ! Tu me coupes l'appétit et on a déjà tout commandé... 

Jacquot. Je n'y suis pour rien, je te réponds, moi, et c'est mon boulot, et d'ailleurs ça crève les yeux si on s'y connait un tant soit peu. 

La femme N°1 : — Y a rien écrit dessous, einh ? Ils n'ont pas le droit de nous faire ça sans étiquette ! Je n'aurais jamais cru!

Jacquot : — Mais n'y crois pas! personne n'y croit. Je t'informe, moi, voilà tout. N'y pense plus!

La femme N°1 : — Eh bien moi, ça ne passe pas, cette « information »  comme tu dis, monsieur le biologiste !

Jacquot : — Bah! On en a vu d'autres! 

 
  Lundi 11 janvier 1999.
Boulevard Massena, hauteur porte d’Ivry.
  Le vent du périphérique siffle et vrombit, s’élève et s’unit aux lames glacées du ciel pour lisser les tours, les cubes, les barres d’appartements, pour faire vibrer de sons métalliques les tiges des arrêts du PC et agiter les branches argentées d’un sapin de noël presque sans aiguilles qui gît de travers sur le trottoir.
 
  Jeudi 14 janvier 1999.
Métro Ménilmontant, Entre 20h00 et 20h.40
  Le quai grouille de personnes humides. Il grouille de plus en plus. Ceux qui arrivent de l’extérieur ralentissent au tournant de l’escalier. Quelques uns battent violemment les pieds au sol et en dégagent un résidu de neige. Ils regardent ici et là, parfois posent une question : ...fait longtemps...?
Quart d’heure, demi-heure, s’épaississent les réponses. 

... qu’y se passe ?

.... sais pas, z’ont pas dit

 L’humidité monte.

Les haut-parleurs sifflent et rugissent, sans pour autant laisser filtrer de mots.

Un homme en imper fin et tennis en toile, bien humide, appuie sur le bouton « chef de gare ». 

— Ha! — dit-il en se tournant vers une femme dont le bas du pantalon violet traîne au sol, alourdi par l’humidité — elle a la tête dans le web, celle-là !

— Le chef de gare ?

— Ouais, elle dit qu’y a un train tous les vingt minutes, elle a qu’à descendre pour savoir que ça fait une demi heure qu’on en voit pas, ou cliquer sur son putain de site. Elle dit qu’elle est seule...

— Mais c’est pour la neige ?

— C’est ça, ya de la neige on line. La tête dans le web, je vous dis!

Et ils s’en reprend au bouton « chef de gare ». Un craquement en sort.

Ils tourne à nouveau vers la femme au pantalon violet et s’exclame avec douceur :

— Je proposerai à la RATP d’installer un terminal avec leur putain de site dans chaque gare. En plus je me les caille !

— Ah non, là il faut un téléphone — intervient une deuxième femme, l’air tendu dans son humidité — ou un portable, regardez-le, celui-là, il appelle pour dire qu’il sera en retard, ah c’est pratique, ça sert à se calmer, à rassurer...

— On vous attend ? — fait la première femme, distraitement.

— Je vais au théâtre mais bon, ça calme quand même, ça rassure...

— Ah, je vois — dit l’homme — vous aussi, la tête dans le web...Décliquez-vous, tout va bien!

— Qu’est-ce qu’il dit ? — elle demande à la première femme, tout en lui lançant un regard brechtien. 

Mais la première femme est occupée à fixer le train plein à craquer qui arrive et à se frayer un passage pour se parer devant le mur de gens humides, pile en face de la porte. Lui, il crie dans l’interphone :

— ache té té pé double slash doublevé doublevé doublevé point slash erratépé point com, c’est pour savoir si le train arrive, madame! 
  <
  Mardi 19 janvier 1999, 14 heures.
rue Doudeauville, Paris 18ème.
  La rue Doudeauville interrompt un instant la litanie de ses facades lépreuses pour enjamber d’un lourd arc métallique les voies ferrées qui depuis la Gare du Nord s’étalent en se ramifiant. Venant de la Goutte d’Or, une petite femme avance sur le pont, surmontée d’un imposant sac à dos et lestée aux deux épaules de gros bagages informes. En sens inverse vient un homme vêtu d’un manteau de cuir. L’après-midi décoloré imite une aube blafarde ; une bruine attardée colle aux boulons de l’armature métallique ; un train manœuvre en grinçant. L’homme, avançant sur la femme, ne la quitte pas des yeux, un sourire sardonique déforme ses lèvres, allume son regard. Elle, le cou tirant sa charge, fixe le vide. Au moment de croiser la femme, l’homme lève la jambe et, avec la bouche, émet un fort bruit de pet.
 
  22 janvier 1999, 8 heures.
Quai de Loire Paris 19ème. 
  Les vitres de la Rotonde, bateau navette amarré au quai de Loire , sont couvertes de buée, un cycliste avec une petite fille babillante à l’avant du vélo, un garçon sur le petit siège à l’arrière, avance en zig-zag. Des promeneurs nombreux amènent leurs chiens qui tous défèquent dare-dare. La fillette : «  Wouah ! Wouah…. » 
 

rechercher des textes JIC l Qui sommes nous?
Le JIC : mode d'emploi l Le JIC : une pratique l Les photos du JIC l Les JIC d'ailleurs
Les films S8 du JIC l Quelles sont les nouvelles?
Le JIC au Brésil : DIC l Le JIC de Marseille l Le JIC d'Italie : DiCo
English version of JIC l Haut de page